1995
L’œil
Dans une sorte d’ascétisme, de raffinement intellectuel, la peinture d’André
Stempfel s’est faite de plus en plus épurée, cherchant à vibrer avec peu de notes.
Les couleurs se sont résumées dans le seul jaune Sénégal, espace concentré
Décliné, hommage oblige, en carrés sur fond blanc , le blanc du silence.
Conjuguées, les bandes étroites de toile ont suggéré l’absence d’un carré, dont
le vide,comme sous l’effet d’un pliage, se déforme,offrant des possibilités
innombrables. Au papier s’est superposée une plaque de verre, mise à distance,
où le carré jaune fait l’effet d’un fixé, jouant de son ombre portée. Souvent,l’arête
d’un trait oblique crée une danse .
Chaque œuvre est monumentale, quelle qu’en soit la dimension. A maintes reprises,
et encore aujourd’hui à Berlin, André Stempfel a rejoint l’art monumental.
Son œuvre est construit à la fois par soustraction et par extension dans l’espace,
sur le plan et hors du plan, par l’ombre portée , par la mobilité du spectateur.
Entre le vide et la présence, l’œuvre devient médiation, comme ces notes musicales
dont la variation s’étend à l’infini dans l’espace.
Humilité que cette conscience de fragments, de repères muables, saisis dans le
mouvement même de l’espace, poursuivant leur vie propre en dehors de la cimaise,
en dehors de leur auteur. Une façon de laisser l’œil reconstituer l’invisible,
appréhender la profondeur d’un infini,où tout se fait, se défait, reste en devenir.
Plus qu’une recherche esthétique dans la voie du constructivisme abstrait, une
façon de faire naître une méditation.
Marielle Ernould-Gandouet
1999
Le Monde
Galerie Lahumière , Paris (Galeries : Paul Jenkins , Sam Francis et André Stempfel )
…..Chez André Stempfel,la couleur déborde pour de vrai .Contrairement aux deux
précédents , Stempfel n’est pas un mystique pour deux sous et pratique ce qu’il
est convenu d’appeler une abstraction géométrique ; tendance rigolote , comme
celle de François Morellet. Ses tableaux sont des monochromes ,uniformément
recouverts d’un jaune baptisé « Sénégal » par un fabriquant de couleurs en mal
d’exotisme. Ils fonctionnent le plus souvent par groupes de quatre, parfois cinq
et racontent une histoire : celle du carré jaune dont la partie supérieure se détache
du mur , penche en avant, se décolle comme une affiche mal appliquée, et finit
enroulée , recroquevillée sur le sol . Ou d’un autre carré, tout aussi jaune, qui
soudain, pris d’une pudeur de jeune fille, se replie et se retourne contre le mur
pour se dérober au regards.
Dans d’étranges sculptures, qu’ il baptise « peintures sur socles », le carré jaune
Glisse lentement de son piédestal comme un escargot le ferait d’un mur.
Stempfel parle d’un monde joyeusement baroque et un peu loufoque où des
tableaux sont accrochés droits et les portes percées de travers, mais pose,
mine de rien, avec l’élégance de l’espièglerie, la question, vieille comme la peinture,
de la troisième dimension.
Harry Bellet
2008
à André Stempfel
deux proposition pour dire (presque) la même chose silence avec bruit, galerie Lahumière, Paris , 2008
Bruit
Le jaune Sénégal ne broie pas du noir : écoutez bruire le silence! il charrie le
fleuve humour. TUTCH . Chaque fois que je vois un tableau de Stempfel,
je vois le boa du Petit Prince dans le chapeau : le bois dans le tableau .
Saint(e)-Ex-peinture abstraite. TING.Bleu et jaune, Suède, bleu Klein jaune Stempfel,jaune et blanc, Vatican.
Le Petit Prince Jaune Sénégal,un morceau d'enfance,
jaune en écharpe, couleur de sable, dunes versées,
ondulations du vent, chevelure blonde .
Fauve, jaune cage. John Cage. 4'33 de silence. 1952 . Stempfel avec Cage.
BLOW . Avec bruits: visiteurs de la galerie Lahumière. La Lumière, tiens
une rousse sur jaune Sénégal ! DOWN .
Stempfel instrumentalise le tableau.De haut luth . Tel s'arrondit comme une caisse à résonner le silence. Telle ligne se tend comme un archet. CROIZE.
Telle cheville , tel coin, glissés dans la structure du tableau le font interpréter
en diverses clés.
L'artiste a des solutions judicieuses de luthier .
( exigez qu'on vous montre l'arrière des tableaux )
Tutch,blow,down,croizé : écoutez craquer la peinture !
Silence
Stempfel travaille avec le monochrome. Il a choisi le jaune Sénégal comme Yves Klein avait choisi le bleu . Je ne sais pas pourquoi cette couleur est
devenue la « couleur Stempfel ». Un psychologue rappellerait que le soleil
évoque la figure paternelle, comme le lion chez Joseph Kessel.
Je dirai simplement : le jaune est plus silencieux que le bleu. Il favorise l'action idéale du plasticien . En 1952 , John Cage proposait dans 4'33 de silence de faire œuvre avec le bruit ambiant, comme Robert Rauchenberg avait
accueilli sur la surface de ses white paintings les ombres et les lumières
du monde extérieur . Stempfel fait autrement silence , fait autrement surface que ses prédécesseurs. Il écoute la musique interne venir en surface du tableau et le modifier .
Stempfel travaille avec le tableau. Qui ne représente rien, qui ne fait allusion à rien. Qui est un idéal silencieux auquel il arrive quelque chose : un bruit .
Dans les sciences exactes et de la communication , le « bruit »signifie ce qui
brouille, ce qui empêche de se faire une idée totalement précise , de recevoir
une information fidèle . Quelque chose vient avec. Ici, cet « avec »qui vient,
c'est l'art. L'art est entre l'idéal qu'il désigne, qu'il sous-entend : le quadrangle
unifié par la couleur et ce qui est arrivé, que nous avons sous les yeux.
Silence dans le jaune, idéal, avec bruit : ce que nous voyons.
Stempfel a une méthode : il sait que la peinture est une chose mentale
( la fameuse causa mentale de Vinci ) que l'on fait avec des moyens matériels.
Alors il renverse le système : que se passerait-il si du mental devenait chose ?
je dis vraiment chose : si une ligne arquée se mettait à tendre le quadrangle
jusqu'à le déformer , si un ovale repoussait les limites de son cadre , si
l'échiquier de cases bleues ripait vers le sol , si deux bandes s'échappaient
pour se croiser , si une bande glissait comme un pull sur une épaule
( découvrant le châssis ) etc…
C'est logiquement illogique. Cela lui va bien, à Stempfel, de rappeler
simplement l'essentiel : il faut faire exister l'idéal.
Thierry Dufrêne , Paris , 8 Avril 2008
2002
Le journal des Arts
L’abstraction géométrique est souvent associée à une certaine rigueur ,
pour ne pas dire à une certaine austérité . dans cette dernière exposition ,
présentée par la galerie Lahumière , André Stempfel bat en brèche ce préjugé.
Ses œuvres , bien qu’inscrites dans une lignée parente de celle de l’Art concret,
Distillent une bonne dose d’humour et de dérision : les surfaces peintes s’échappent
du châssis , de leur toile ,et les socles , dont la fonction première est de mettre en
valeur ce qu’il soutiennent , ploient sous un hypothétique poids . En résumé aucune
œuvre exposée ne paraît tenir en place , prise dans une tension , ou un mouvement
qui l’entraînent vers un autre état que le sien : la peinture devient relief , voire
sculpture . L’artiste joue avec ces mutations successives en les mettant en scène
à la manière de séquences, permettant, comme dans un déroulé cinématographique,
de découvrir l’évolution des formes.
Fabienne Fulcheri
2013
Exposition : « je dérange » , galerie Lahumière , Paris , 2013
Les facéties d'un monochrome .
Les mouvements modernistes du début du vingtième siècle nous ont enseigné
que le tableau n'était plus une fenêtre d'illusion mimétique ouverte sur le monde
mais une construction mentale qui se matérialise en un objet bien concret , de forme et d'épaisseur variables , sur lequel on pose des pigments.
Dans la logique de cette voie, André Stempfel s'adonne d'abord à une abstraction géométrique rigoureusement construite , mais dont les éléments rapidement attirés par l'espace , se dissocient pour gagner les trois dimensions.
Ainsi sont subverties les disciplines canoniques de la peinture , de la sculpture et de l'architecture.
Du séquentiel , de la série , qui sont les outils de l' « Art concret »historique ,
André Stempfel a gardé le principe , mais c'est pour en faire un usage gauchi .
Parce qu'au lieu de décliner des permutations rigoureuses , ses séries s'apparentent plutôt à des séquences ludiques et narratives , à des enchainements de postures au cours desquelles ses formes prennent la tangente
Echappant à la condition étale et plane qui est sensée être la sienne , la peinture
devient une matière vivante , ductile.
Forte de sa conscience d'être un objet autonome , elle envahit et perturbe le domaine de la sculpture . Juchée sur son socle , elle en occupe un moment la
position d'éminence . C'est une forme vivante , affranchie et délurée , qui se déroule , se love , se glisse sous son piédestal , inverse les rôles avant de le mettre en déséquilibre pour finir par le mettre à bas.
(…..) André Stempfel nous prouve que les abstractions les plus radicales peuvent
être solubles dans l'humour.
C'est sans doute la meilleure façon de prendre la peinture au sérieux
Hubert Besacier
2008
Le Monde , 21/ 06/2008
ANDRE STEMPFEL, GALERIE LAHUMIERE
Qui pense que l’abstraction géométrique est nécessairement austère ne connaît pas André Stempfel.
Pourtant l’homme fait dans l’économie des moyens : ses tableaux sont des monochromes,
Uniformément recouverts d’un jaune baptisé « Sénégal » par un fabricant de couleurs en mal
d’exotisme.
Ils fonctionnent le plus souvent par groupe de quatre, parfois cinq,et racontent une histoire :
Celle du carré jaune dont la partie supérieure se détache du mur, penche en avant, se décolle
Comme une affiche mal appliquée, et finit enroulée, recroquevillée sur le sol .
Un coin enfoncé dans le châssis décale un carré de peinture, ou contraint une ligne à abandonner
l’horizontale pour partir en oblique.
« Exigez que l’on vous montre l’arrière des tableaux ! » proclame son préfacier, Thierry Dufrêne.
Stempfel va plus loin : de la peinture, il montre les dessous.
Harry Bellet
2009
Galerie Kandler , Toulouse , 2009 . Beaux arts magazine .
Chacune des toiles d'André Stempfel se joue de sa nature bidimensionnelle
pour immanquablement sortir de son cadre et surprendre.
Elle devient une accumulation de cubes , capture une spirale , s'entrouvre , comme
écartelée , ou porte un copeau de peinture.
La tentation de la troisième dimension est telle que l'artiste prolonge ses peintures
en sculptures , pour un dialogue amusé entre ces deux modes d'expression ,
et toujours à partir de grands monochromes de son jaune « sénégal «
2012
Stempfel , l'abstrait qui sourit , Galerie San Carlo , Milan
extrait du texte du livre consacré à l'exposition .
Le jaune est une couleur gaie ; elle donne rarement des idées noires et pourtant
les artistes abstraits s'en méfient . Malevitch en eu un usage modéré dans ses
suprématies , Mondrian lui accorda rarement la plus grande surface de ses carrés .
Le jaune est bien une spécialité de Stempfel , aussi simple que d'une grande efficacité
plastique.
Stempfel fait une peinture d'après idée , mais qui lui demande , mine de rien , beaucoup
d'astuce et de tâtonnement dans la réalisation . Bref , c'est un conceptuel qui n'en est pas
pour autant paresseux . Même s'il préfère de loin la petite partie de l'œuvre qui fait tout
basculer , le reste à droit à toute son attention.
Il se fait manipulateur de l'infime , de l'intime , celui dont l'art du détail finit par bouleverser
le tout .
Stempfel se met dans cette étrange position d'intervenir sur un autre artiste , qui n'est
autre que lui-même ; il perturbe sciemment dans un second temps ce qu'il avait construit
patiemment dans un premier moment . Un geste simple : on tire une bande et cela
décachète-introduit l'élément perturbateur dans le tableau qui cesse d'être tiré à
quatre épingles : « j'enlève ou j'ajoute un iota « dit-il.
Il y a ça et là des mouvements intempestifs et soudains , d'autres lents , de petits
et grands déplacements. Mais tout se passe dans la plus grande exigence vis à vis
du langage plastique. Stempfel réaffirme celui ci , quand ce n'est pas le langage tout
court . Voyez les titres plastiques de ses œuvres : des assonances , des jeux de mots ,
des onomatopées : « tac « le bruit de chute d'un trait qui finit par faire une saillie
dans le tableau .
Ce qui frappe dans l'exposition c'est le gout du peintre pour les formes solides ,
affirmées et légères à la fois , son sens du plaisir plastique , qui l'a toujours rallié
à la simplification des formes et de signes qu'il aime dans la peinture des grands
italiens , Uccello , Giotto , Piero della Francesca .
Thierry Dufrêne , Avril 2012